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Le tapis de loge

Alors que je me penche aujourd’hui sur le tapis de loge, il convient d’abord d’introduire ma pensée en réfléchissant à la nature de ce qu’il est. 

Le tapis de loge n’est pas une décoration, dans le sens premier du terme, c’est un outil, un instrument dans le développement spirituel du franc-maçon. 

Il peut en effet sembler être une chose, un objet. Ainsi qu’une carte ou qu’un schéma, il serait ce qui indique la localisation d’éléments symboliques. Un tel tapis de loge rappellerait alors le plateau de jeu ou la marelle de l’enfant, et serait avant tout présent pour stimuler l’imagination. Mais il faut voir plus loin en regardant le tapis de loge. Il ne figure pas le temple, il rend le temple réel. Les frères placés autour du tapis de loge sont invités à faire surgir le temple représenté sur le tapis. Ainsi le tapis n’est pas le souvenir d’un temple idéal, mais l’objectif concret que se donnent les frères de la loge : faire parvenir à l’existence un temple maçonnique. Faire vivre un temple réel, dont le tapis de loge n’est que l’image. 

Ainsi, c’est par une transformation intérieure que le frère doit apprendre, parfois après de longues années, à effectuer une sorte de transmutation fondamentale : créer à l’image du tapis de loge un temple réel, dans lequel il vit dès lors qu’il en a passé la porte. 

Ma deuxième réflexion est sur le sens des éléments, objets et décorations qui ornent le temple et donc le tapis de loge. Il ne s’agit pas alors seulement d’un extérieur, mais d’un véritable programme pour le développement spirituel du maçon. 

Ainsi le temple et ses décorations semblent inviter le frère à effectuer les trois étapes de son développement spirituel : voie purgative, voie illuminative et voie unitive. On peut désigner également ces trois étapes par les termes de perfectionnement dans l’action, perfectionnement par la connaissance et réalisation de l’unité. 

Une partie du tableau semble donc inviter le frère à se purifier. C’est-à-dire à commencer un travail sur soi, travail d’introspection et de corrections patiente de ses défauts, de ses passions négatives. 

Il faut d’abord bien sûr rentrer dans le temple, quitter le monde profane. Cette séparation 

La voie purgative étant une étape de purification, consistant à rechercher en soi défauts et vices, et à travailler à les corriger. La voie illuminative est une étape d’ouverture, où je me rends réceptif aux différentes lumières venues de l’extérieur (le monde, mes frères, le reste des hommes, le Dieu…) et où je m’enrichis de ces influences qui me font grandir. La voie unitive est sans doute plus mystérieuse et plus difficilement saisissable. Il s’agit d’une étape où l’homme apprend à se perdre, à s’oublier. Il agit, il contemple, mais il n’est plus un individu, il est inséparable du Tout. Une image pourrait permettre de penser ces trois étapes: celle de la coupe d’eau. On peut imaginer dans un premier temps, une eau souillée, boueuse dans une coupe d’eau. Elle est filtrée, rendue pure. Dans un deuxième temps cette eau pure est placée au soleil, elle se gorge de chaleur. Sur sa surface se déposent des feuilles, qui infusent en elle. Elle s’enrichit, devient une eau de qualité, presque miraculeuse. À ce moment elle est toujours dans sa coupe. Elle n’a pas d’utilité générale pour le monde, sinon pour des individus particuliers qui pourraient la rencontrer, et profiter de ses qualités désaltérantes. Mais cette eau est vouée à devenir plus. Dans un troisième temps, elle est versée depuis sa coupe, dans l’océan. Elle ne fait alors plus qu’un avec la totalité. Elle n’est plus séparable, mais elle diffuse de toutes parts, son énergie mêlée profondément à celle du monde, sa richesse étant devenue celle du monde demande un premier travail sur soi, que je suis amené à faire à chaque fois que je monte les trois marches qui mènent vers le temple pour en passer la porte. 

Je suis alors séparé du monde profane, séparation matérialisée sur le tableau par la corde à noeuds. Mon esprit doit alors tout entier être au travail. 

C’est ainsi que la Pierre Brute symbolise ce travail de perfectionnement que j’effectue sur moi-même afin de me débarrasser entre autres de mes préjugés d’une part et des désirs qui entravent ma volonté de l’autre. Le maillet est alors le symbole de ma volonté, de la force que j’applique dans mon mouvement. 

Le ciseau est lui le symbole de la maîtrise de mon geste, de sa précision. Je dois par-ailleurs, afin de travailler sur moi-même, apprendre à me connaître. Le fil à plomb, dans sa verticalité, est le symbole de cette descente en soi, de cette introspection. Je suis ainsi tailleur, qui élimine les défauts et les aspérités, mais aussi mineur, descendant profondément en soi, jusqu’aux endroits les plus sombres de mon être. Le Delta lumineux est à cette étape de mon travail le symbole du regard tourné à l’intérieur de soi. 

Mais je ne suis pas seul, isolé dans mon travail. La lune éclaire mes premiers travaux. La lune est l’astre qui inspire, qui invite à l’exploration de soi sans éblouir par sa puissance aveuglante. 

Une deuxième partie du tableau semble alors consacrée à la deuxième étape du parcours spirituel du frère, celle liée à la connaissance, à l’illumination. 

Cette illumination est d’abord liée à mon rapport devenu intime à la lumière qui pénètre la loge. La lumière pénètre ainsi la loge par trois fenêtres : à l’orient, à l’occident et à midi. Ainsi, je dois d’abord être sensible à la lumière pénétrant dans la loge par le midi. C’est celle qui éclaire le vénérable maître. Et c’est cette capacité en moi à me nourrir de la sagesse de mes frères, à grandir en recevant l’éclairage que me donne la réflexion de mes compagnons. Je dois ensuite être sensible à la lumière qui perce par la fenêtre située au midi, fenêtre par laquelle je reçois une lumière vive et puissante. C’est cette fois la disposition que j’ai de me nourrir des forces de mes frères pour nourrir ma propre volonté, pour faire grandir ma propre force. 

Je dois ensuite être sensible à la lumière qui tombe par la fenêtre de l’occident. Lumière crépusculaire qui m’inspire à terminer, peaufiner, donner une forme définie à mon travail. Ce sont les finitions, le caractère unique et personnel que je donne à mon œuvre qui lui donne la beauté. Finir un travail, c’est le mener jusqu’à sa réalisation complète, sans bâcler ou précipiter son accomplissement. 

Beauté, sagesse et forces grandissent en moi, alors que j’établis en moi des vertus solides et persistantes. 

Sous le soleil qui guide cette deuxième étape de développement, plus aucune passivité de ma part : je plonge sous la lumière, c’est-à-dire que je tends activement à la connaissance, en sortant de moi-même pour porter mon regard sur le monde. 

Le delta lumineux est alors pour moi le symbole de l’architecte de l’univers qui regarde sa création. Je suis ainsi face au monde et je reçois sa lumière. 

Comme la pierre cubique, je m’insère dans l’édifice, je prends ma place dans la structure, dans le monde. 

Ainsi l’horizontalité du niveau à fil s’oppose à la verticalité du fil à plomb. Cette nouvelle horizontalité, c’est un rapport au monde fait de solidarité, de fraternité et de justice. Le trait au centre du niveau à fil se nomme par ailleurs la ligne de foi, et évoque la capacité à

suivre ce qui est digne de foi, autrement dit à suivre son idéal, ses valeurs. Les lacs d’amour (les nœuds en huit) sur la corde à nœuds sont le symbole de la fraternité que je nourris envers les frères de la loge ainsi qu’envers tous les autres frères. Ma fraternité est un agapé, un amour charitable, généreux qui s’étend à tous. 

Le tableau de loge semble enfin révéler les éléments d’une troisième étape de développement spirituel du frère, avec un changement profond qui touche son être, la réalisation en lui d’une unité supérieure. 

Cette unité est avant tout celle du spirituel et du matériel, permise par une force et une solidité radicales, qui me servent de piliers pour tenir ensemble d’une manière parfaitement harmonieuse monde intérieur et réalité extérieure. Les piliers de ma force et de ma solidité sont symbolisés par les deux colonnes du temple : Boaz (en lui est la force) est la force de ma volonté, Jakhin (il établira) est ma solidité, ma stabilité. 

Le pavé mosaïque est un deuxième niveau de cette unité. Je ne suis plus partagé par des forces contraires, qui se compensent les unes les autres, je me constitue de forces complémentaires. 

Je parviens à trouver une unité dans les oppositions en moi, et dans le monde. Les houppes dentelées qui terminent la corde à nœud par une infinité de fils assemblés, sont ainsi le signe d’un sentiment d’amour devenu universel, qui porte sur le tout, la multiplicité prise ensemble et aimée dans sa totalité. 

Le delta lumineux est quant à lui le symbole de l’unité recherchée avec le Grand Architecte. Je tends à lui en me dépassant en tant qu’individu, et en arrivant par une négation du Soi à être non plus face au monde, face à la nature, mais à coïncider avec lui, dans une harmonie parfaite. 

Les trois lumières : volume de la loi sacrée, compas et équerre, sont le symbole de cette unité retrouvée. Le pur spirituel est pour moi dans le réel concret, la création (symbolisée par le compas) ne s’oppose plus à la réalisation (symbolisée par l’équerre). 

L’unité est enfin celle du symbole, du mystère, que constitue lui-même le tableau de loge. Celui-ci n’est plus pour moi un ornement, il est le temple concret que je fais émerger autour de moi avec mes frères, il est mon développement spirituel, il est mon existence dans le monde. 

Dans cette unité, le sacré rejoint le profane, lorsque alors que je sors du temple pour rejoindre le monde, la lumière que j’ai reçue comme frère travaillant dans le temple, ne me quitte à aucun moment de ma vie profane : je la diffuse dans le monde à chaque instant. Ainsi, le tapis de loge est un instrument clé dans la vie du maçon, guide lui permettant de construire le temple réel dans lequel il exerce avec ses frères, mais aussi guide lui permettant – à travers la purgation, l’illumination et la recherche de l’unité – de construire son temple intérieur. 

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Jean-Baptiste Kléber

www.jeanbaptistekleber.com

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