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Le Rite écossais ancien et accepté et l’écossisme (partie 2/2)

Etienne Morin précurseur d’un écossisme français venu des Amériques
On présente souvent Etienne Morin comme le fondateur du REAA. C’est très excessif et le simple rapprochement des dates permet d’écarter cette affirmation: Etienne Morin, né en 1717 (à Cahors) est mort en 1777 (à Kingston, Jamaïque) or la première occurrence du syntagme “Rite Ecossais Ancien et
Accepté” n’apparait qu’en 1801.

Etienne Morin franc-maçon très actif et particulièrement enclin à la pratique de ces grades postérieurs à la maîtrise apparus dans les années 30, voyageait dans le cadre de son activité de négociant (on n’a jamais su de quel commerce il s’agissait mais rien n’autorise à penser qu’il s’agissait du commerce d’esclaves) entre la France et notamment Bordeaux, les colonies américaines et Saint Domingue. La Grande Loge de Paris dite de France, en la personne du Grand Maître, le Comte de Clermont, et de quelques membres de l’Ordre des empereurs d’Orient et d’Occident, lui avait remis une charte en 1761 qui lui sera cependant retirée cinq ans plus tard. Cette charte connue sous le nom de “Patente Morin” le nommant “Grand Inspecteur pour toutes les parties du monde” lui confiait la mission de diffuser la Franc-Maçonnerie lors de ses tribulations dans les colonies, lesquelles l’amenaient parfois à des périodes de captivité quand le navire sur lequel il traversait l’océan devait se soumettre aux Anglais alors en guerre avec la France.


L’existence de cette charte est incontestable puisque l’on a trace de sa révocation cinq ans plus tard par la Grande Loge. En revanche son contenu exact est controversé. Il est très probable que des versions apocryphes produites par Morin lui-même, ou par ses continuateurs à Saint Domingue, en aient étendu le contenu pour asseoir a posteriori l’autorité de ce franc-maçon aussi zélé qu’aventurier dont les successeurs fondaient ainsi leur légitimité à poursuivre son œuvre.


Les successeurs de Morin feront la même chose en se prévalant des “Grandes Constitutions de 1786” sorte de charte constitutive des droits et devoirs des dignitaires du Rite qui auraient été octroyées par Fréderic II roi de Prusse, franc-maçon discret et despote éclairé, qui s’est pourtant toujours montré particulièrement distant à l’égard des Hauts Grades. Manquant de perspicacité, nos sympathiques faussaires ont notamment fait l’erreur d’attribuer l’aigle bicéphale comme bijou du grade sommital du rite alors qu’il était l’emblème de l’Autriche-Hongrie, empire rival et ennemi constant du roi de Prusse !
Quant à Etienne Morin, il a sans conteste diffusé aux Antilles et dans les colonies britanniques d’Amérique ce Rite dit de Perfection: l’Ordre du Royal Secret, système de Hauts Grades d’origine française, en 25 degrés répartis en sept classes, dont les rituels furent pour la plupart ré-écrits par son plus proche collaborateur, un Hollandais devenu Américain, Henry A. Francken. Ce système de Hauts Grades proposait une organisation hiérarchisée des grades postérieurs à la maîtrise auxquels Etienne Morin avait été reçu en métropole vingt ou trente ans plus tôt.


Vingt ans après la mort d’Etienne Morin, en 1797 était créé un “Grand et Sublime Consistoire du 25ème degré” de l’Ordre du Royal Secret, notamment par Alexandre Comte de Grasse, Marquis de Tilly (dit Alexandre de Grasse-Tilly) et quelques autres francs-maçons passionnés parmi lesquels Jean-Baptiste Delahogue son beau-père. Grasse-Tilly exploitait à Saint Domingue depuis 1789 une plantation héritée de son père mort l’année précédente, célèbre amiral qui avait permis aux insurgents de vaincre les Anglais à Yorktown en 1781.


Alexandre de Grasse-Tilly, soldat d’envergure beaucoup plus modeste que son père, avait quitté précipitamment l’île de Saint Domingue pour se réfugier en Caroline du Sud quand les esclaves se révoltaient. Il y était bien accueilli, ses hôtes honorant à travers lui la mémoire de son père. Fondateur d’une loge à Charleston en 1796, il s’affiliait l’année suivante à la Grande Loge de Caroline du Sud des maçons libres et acceptés. Il en démissionnait en 1798 puis en fondait une autre sous l’égide de la Grande Loge des maçons anciens d’York de Caroline du Sud en 1799. En 1801 est créé le Suprême Conseil du Rite Ecossais Ancien et Accepté à Charleston dont Grasse-Tilly est nommé, l’année suivante, Grand Inspecteur Général et Grand Commandeur des Antilles Françaises. Il s’agit là de l’acte de naissance du REAA… qui s’était enrichi entre-temps de huit grades supplémentaires complétant le Rite du Royal Secret dont le 24ème degré passait ainsi au 30ème degré sous le nom de Kadosh.

Cependant les trois premiers grades alors pratiqués ne ressemblaient guère à ce que l’on connait aujourd’hui car les frères des Amériques pratiquaient le style maçonnique issu de la Grande Loge des Anciens de 1751, importé d’Angleterre avant l’indépendance des treize colonies britanniques et la création des Etats-Unis (1773-1783). Ainsi le rite pratiqué dans les trois premiers grades correspondait-il beaucoup plus à ce que nous connaissons aujourd’hui sous le nom de rite d’York, resté jusqu’à ce jour très majoritaire aux Etats-Unis.


De retour en France en 1804, Grasse-Tilly fonde le Suprême Conseil de France et introduit ainsi le REAA, qui vient directement concurrencer le rite du Grand Orient auquel Alexandre-Louis Roëttiers de Montaleau avait donné en 1785 une organisation structurée en sept grades ou plus exactement en trois grades et quatre ordres réalisant une brillante synthèse de la pratique maçonnique française.


Napoléon Ier voit d’un mauvais oeil la coexistence de deux organismes maçonniques et en exige la fusion en un seul pour mieux le contrôler. C’est ainsi que le général Kellerman pour le Suprême Conseil et Montaleau pour le Grand Orient signent un acte d’union et de concordat qui se révèlera d’une application délicate dans une ambiance souvent tendue au sujet de la répartition des prérogatives de chaque obédience, notamment quant à la gestion des trois premiers grades.
Ce nouveau “Rite Ecossais Ancien et Accepté” disposait d’un avantage concurrentiel majeur avec ses 33 degrés et notamment le grade de Kadosh (le 30ème dans l’échelle du REAA) que vingt ans plus tôt Montaleau et la chambre des grades n’avaient pas voulu, après bien des débats, maintenir dans le système en quatre ordres, le classant avec la plupart des quatre-vingts un grades qui connaissaient le même sort dans une sorte d’archive, laissée à l’étude des frères les plus avancés, au sein d’un cinquième ordre dont la Révolution avait entravé le développement dès sa création.

Ainsi ce nouveau rite en imposait aux frères français qui voyaient leur grade sommital (Rose-Croix) relégué dans une position intermédiaire, au dix-huitième degré, dans cette nouvelle échelle en trente trois degrés.


Mais le REAA connaissait cependant une faiblesse considérable issue de son histoire. Etant essentiellement un système de Hauts Grades il n’avait pas de rituel spécifique pour les trois premiers grades. Rappelons qu’il avait, notamment après Morin, été développé principalement par des frères
américains dont la pratique des grades bleus était celle importée d’Angleterre depuis les années 1750 et connue en Amérique sous le nom de rite d’York. Il appartenait à Grasse-Tilly de combler rapidement ce manque pour imposer son rite sur le continent. Ce qu’il fit avec ses continuateurs, par touches successives, pour aboutir tant bien que mal à une synthèse, ou plutôt à un syncrétisme, qui mêle des éléments de style ancien d’origine américaine (ordre des mots en B et J, place des surveillants, marche du pied gauche, trois grandes lumières…) à des contenus qui doivent beaucoup plus au style des Français (autel des serments à l’Orient, tableau de loge au centre de la loge, et utilisation assez large du texte rituel du régulateur du maçon) le seul que connaissaient jusque là les maçons français. Lesquels répetaient une posture qu’avaient eue, soixante ans avant, les maçons de Londres quand la loge des anciens s’était créée, en acceptant de se déclarer les “modernes” bien qu’ils fussent antérieurs à ces maçons américains qui se prévalaient du titre d’ “anciens”. Cette construction des trois premiers grades du REAA fut laborieuse et la première édition officielle (1820) intitulée “guide des maçons écossais” était très éloignée de ce que les frères connaissent aujourd’hui à la Grande Loge de France ou dans les obédiences qui pratiquent ce rite (GLNF et ses épigones).


Ainsi le REAA est-il fondé à se dire écossais car il est avant tout un écossime au sens d’un système de Hauts Grades, le système de Hauts Grades le plus pratiqué dans le monde, alors qu’en tant que rite des trois premiers grades il connait une diffusion bien plus modeste. De la même manière le Rite Ecossais Rectifié (RER) doit également beaucoup au Rite pratiqué en France au XVIIIème siècle (dans sa structure formelle: place des surveillants, marche du pied droit, couleur de la loge et des décors) et son caractère écossais n’apparait dans les trois premiers grades que dans l’ordonnancement des piliers autour du tableau de loge, identique à celle qui fut adoptée par le REAA. Mais lui aussi fut construit avec l’intention de développer un système de Hauts Grades qui, pour sa classe maçonnique, est résumé en un seul grade, celui de Maître Ecossais de Saint André, tandis que son projet chevaleresque se développe dans un “Ordre Intérieur”, aboutissement du parcours maçonnique antérieur que son concepteur (J.-B. Willermoz) considerait comme une propédeutique, une nécessaire préparation, à la voie chevaleresque.


Ainsi, si le REAA est une maçonnerie “écossaise”, c’est essentiellement au sens d’une voie spécifique vers les Hauts Grades dont il propose une organisation cohérente à partir du foisonnement anarchique des premières années de l’écossisme, selon une forme particulièrement intéressante, évolution du système développé par Etienne Morin sous le nom d’ “Ordre du Royal Secret” mais que d’autres rites, qui lui sont chronologiquement antérieurs, ont également développés selon des formes différentes, qu’il s’agissent, pour ne citer que les plus connus en France, le RF et le RER. L’Ecosse n’ayant cependant rien à voir avec tout cela, quoi qu’en ait dit le Chevalier de Ramsay, comme en atteste la pratique maçonnique de nos frères écossais, pratique que nous connaissons en France sous le nom de Rite Standard d’Ecosse.


Quoi qu’il en soit le REAA prend sa source dans la maçonnerie française du XVIIIème, certes mâtinée de quelques traces des usages des anciens qui rappellent son origine américaine, avant qu’il ne devienne un rite essentiellement continental et surtout français dans ses trois premiers degrés mais trouve tout son lustre dans son système de Hauts Grades pratiqué dans le monde entier.

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