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Le but c’est le chemin

Nombreux sont les objectifs qui nous sont assignés ou que nous nous assignons dans la vie, moins évidents sont les buts dans l’existence, plus obscur encore est le but, que je définirais comme ce que l’on se propose d’atteindre. Un point, un niveau, des coordonnées, un état précisément définis, ce qui paraît dès lors n’avoir avec le chemin qu’un rapport antinomique, car le chemin relie, assure la transition entre un lieu et un autre, un état à un autre, une qualité à une autre.

En s’appuyant sur ces premières définitions de chemin et de but, il conviendrait de s’opposer à cette définition du but qui nous est proposée.

Un chemin, que ce soit une large voie plane, une piste sinueuse étroite ou un sentir escarpé, avec ou sans ramifications, détours ou croisements, peut ne nous emmener nulle part si nous n’avions pas défini ni conçu au préalable aucune destination ni étapes. Encore faut-il pouvoir s’orienter sur un chemin inconnu qui pourrait nous faire traverser des épreuves inédites, nous faire rencontrer de nombreux obstacles et dangers, dans la profondeur des bois (le Holzweg de Heidegger) et des marécages, sur les arêtes des pics ou dans les sables du désert. Sans but en tête ni étapes sur notre plan, et sans facultés à reconnaître si nous sommes sur le bon chemin ou non, un chemin n’est que le lieu de l’errance, le vaste espace de l’égarement. Ainsi, symboliquement, le chemin nous rapproche ici de l’errance, de la souffrance (le Christ sur son chemin de Croix), ; il revêt une épaisseur et une opacité insurmontables si nous n’avons pas de but en tête. Seul le but nous permettra de parcourir le chemin.

Comment définir alors le but?  “Ce qu’on se propose d’atteindre” : le but est une proposition, ce que l’on met devant nous. Ici nous cherchons à connaître le but existentiel ou métaphysique, l’unique chose à atteindre. Nombreuses sont les propositions apportées par la philosophie que nous connaissons plus ou moins. Des idéalistes, comme Platon, érigent un but idéel tel le Beau, le Bien, le Vrai, idées vers lesquelles il faut tendre. Kant postule un impératif catégorique comme la morale comme principe de toute action – et donc son but. Selon Aristote, tout être est défini par son telos, une fin vers laquelle il tend naturellement. Chez l’homme, il s’agit de devenir vertueux et juste pour atteindre le but de la vertu et de la justice, car tel est l’ordre prédéterminé des choses. Ainsi, par essence, le but est avant tout une fin, contrairement au chemin qui est un moyen. En lien avec les propositions de buts susnommés vient toujours s’articuler la proposition d’un chemin, d’une méthode, pour y parvenir. But et chemin forment les parties distinctes d’un tout.

Si but et chemin sont des concepts différents, nous pouvons donc arpenter le chemin de notre existence à travers le temps et l’Être, notre boussole métaphysique à la main. Si notre but de vie peut-être raisonnablement formulé (nous ne sommes pas dépourvus de propositions philosophiques), alors nous pouvons nous orienter et définir le sens de notre parcours, et dépister tout égarement, corriger notre trajectoire en cas de dévoiement. Or il suffit de parcourir un peu le chemin de la vie pour éprouver la contradiction entre un but aussi évident et un chemin aussi tortueux. A quoi bon être bon, juste, intègre, aimant tout un chacun comme soi-même, alors que notre chemin est jonché d’obstacles, de tentations et de ténèbres, en nous comme autour de nous? N’est-il pas plus simple de suivre la pente du monde tel qu’il nous apparaît, et tel un stoïcien ou un taoïste l’accepter tel quel, changer plutôt ses désirs que l’ordre du monde ?

L’alternative à ce credo du but dans la vie serait une vie sans espérance, sans certitudes, et le constat que notre vie n’est finalement qu’un phénomène absurde et que se fixer un but n’est qu’une vaine illusion. Tels Sisyphe, à vouloir défier l’ordre de l’univers ou des dieux, à y avoir prise, nous ne faisons pas plus que de parcourir la montagne avec notre rocher, dans un absurde éternel recommencement. La vie aurait-t-elle alors un sens? Oui, si jele veux; Il demeure possible de le postuler, et puisque que le monde est vide de sens, je suis libre de décider de lui en donner un.

Face à ce doute existentiel, nous ne sommes pas désarmés. Le chemin de l’existence n’est pas que cette trajectoire jonchée d’obstacles où nous serions enfermés dans l’absurde ou l’impuissance. Le chemin, c’est aussi une méthode, une démarche intellectuelle, un moyen de prendre conscience de notre être et de ses limites. Le credo cartésien “je pense donc je suis” : cette certitude élémentaire est un point de départ vers un nouveau chemin non seulement scientifique mais aussi métaphysique. En poursuivant cette méthode, nous nous munissons d’un précieux outil pour petit à petit bâtir nos certitudes, consolider notre connaissance et notre compréhension du monde, mettre à l’épreuve nos illusions et nos certitudes. Ce chemin, tel la sortie de la caverne de Platon, constitue en tant que tel un but et donne un sens à notre quête existentielle.

Si cette méthode est avant tout le fondement de la science moderne et se veut une approche universelle, c’est surtout tout une démarche personnelle. Il n’y a pas de chemin unique pour parvenir à cette connaissance, cette compréhension du monde. Il appartient à chacun de trouver sa voie, car il n’y aurait de connaissance du monde sans une connaissance de nous-mêmes, qui en sommes une partie intégrale et unique.

Cette quête du savoir et de la connaissance n’est que le sens du chemin, lequel reste à être tracé. Tracer son chemin de vie implique de se redécouvrir, de savoir accepter stoïquement ce qui nous arrive, que ce soit sous un prisme déterministe du destin, ou sous les auspices du lâcher prise de nos sentiments et nos émotions qui peuvent faire obstacle à la maîtrise de notre cheminement existentiel. Au fil du chemin se dessine alors un nouveau chemin-but, que nous pourrions résumer en l’adage du seuil du temple de Delphes “connais-toi toi-même et tu connaîtras l’univers et les dieux” ou bien encore dans l’acronyme V.I.T.R.I.O.L  du cabinet de réflexion de notre loge : Visita Interiora Terrae, Rectificando Invenies Occultum Lapidem (“Visite l’intérieur de la terre et en rectifiant tu trouveras la pierre cachée”). Le but est donc de parcourir ce double chemin, qui s’étend à la fois vers l’infini et le centre du monde d’une part, et vers le plus profond de notre être d’autre part, cette lourde pierre intérieure de notre être que nous découvrons au départ si brute et qu’il nous appartient de dégrossir, de ciseler, de tailler afin de parvenir à une harmonie et une régularité, chaque jour que Dieu fait est un vaste ouvrage.

Enhardis d’avoir engagé ce travail de maçon, nous nous rappellerons toujours les prémices de notre nouveau chemin : notre initiation maçonnique, où au gré de nos errements dans l’obscurité profane nous nous sommes présentés à la porte du temple, et, reçus par nos frères, nous avons pour la première fois  entrevu la lumière. Aux images et acceptions du chemin évoquées jusqu’alors, nous pouvons y ajouter celle du pèlerinage, ce chemin-voyage, quête spirituelle qui ne se fait pas seul. Nous avons été guidés avant de devenir un jour compagnons de nos frères. Il nous a fallu nous dévêtir et nous délaisser du superflu pour rechercher l’essentiel. “Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il renonce à lui-même, qu’il charge sa croix et me suive” appelle Mathieu ses condisciples. Le but de ce chemin réside donc entre autres dans ce parcours collectif, où ensemble nous aidons nos frères à surmonter leurs épreuves et solidaires, nous avançons dans notre quête, nous défaisant du superflu, de nos défauts, pour approcher l’essentiel. Le but-chemin est donc un progrès de soi, un progrès fraternel et, comme le veut notre obédience, le progrès de l’humanité toute entière.

En conclusion, nous avons vu que si but et chemin sont deux notions antithétiques, elles participent d’un tout métaphysique : pas de chemin sans but et pas de but sans chemin. Au point où finalement, le but de la vie est, à travers le chemin, éloquent symbole de la vie, la vie elle-même.

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Jean-Baptiste Kléber

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