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Régularité : Champagne & méthode Champenoise !

À l’instar du Champagne, il existe dans la franc-maçonnerie française un débat sans fin sur la question de la régularité des obédiences. Les uns souhaitant protéger leur appellation contrôlée, les autres, parfaits alchimistes, souhaitant transformer le plomb en or, ou pour revenir à ma première métaphore, vendre une méthode champenoise au prix de l’original d’Épernay !

Le simple intérêt de cet article est de définir s’il existe finalement une définition claire et précise de ce qu’est la régularité en franc-maçonnerie, de définir donc qui l’est et plus intéressant de comprendre pourquoi ceux-qui ne le sont pas se targuent de l’être ! 

Régulier qui …

comme la GLUA, se base sur une pratique définie de manière évolutive entre 1723 et 1929 mais tout de même clairement définie.

À son origine, la régularité d’une loge tient exclusivement au fait d’être en règle administrativement avec une Grande Loge, c’est à dire d’être à jour de ses cotisations et en cas de création de loge, d’avoir une patente ! En contrepartie de cette régularité, le maçon de l’époque a alors accès à la solidarité et notamment dès 1724 au Comité de charité. Une fois de plus rappelons-nous que l’aspiration de l’Ordre telle que voulue par les Moderns n’est ni d’être initiatique et traditionnelle mais bel et bien la réunion de frères aux mêmes principes moraux, loyaux envers les pouvoirs et créant une chaîne de solidarité et d’entraide dans la vie civile/profane.

Ainsi donc, pour revenir à l’origine linguistique du mot regular, sa définition la plus proche en français serait normale. A regular mason ne serait finalement qu’un initié pratiquant respectant l’usage et à jour de cotisation.

La question de déisme n’est alors pas évoquée, sans doute parce que l’absence de croyance en Dieu n’était même pas envisageable dans cette société et à cette période. C’est donc avec l’évolution des sociétés et du fait de l’impact du siècle des lumières dans la vie des citoyens sur le continent qu’il deviendra nécessaire de définir ce qui semblait alors pour aussi évident que de respirer.

En 1724 est définie l’interdiction d’inter visites entre réguliers (reconnus) et ceux qui ne le sont pas. Pour conclure cette première approche de la régularité, il ne s’agit finalement que d’être en règle administrativement et de questions de collecte des troncs de la veuve. Dans les années post l’Union (1813) , des textes tels que le Charter of compact vont définir la reconnaissance des loges militaires vis à vis des loges civiles. Ainsi donc, les deux termes, régulier ou reconnaissance, ne représentent qu’une seule et identique idée, l’un et l’autre étant de facto le pendant naturel du second.

En France, les premières loges sont forcément dites “irrégulières” et la première reconnaissance par Londres ne va intervenir qu’en 1732. Si dans ce XVIIIème siècle, la pratique est identique des deux côtés du Channel, force est de constater que les loges françaises souhaitent s’émanciper de la tutelle (reconnaissance) que nos voisins anglais n’envisagent pas de cesser. De cette problématique administrative, Londres va nommer, pour la première fois,  les loges de France « irrégulières ».

Côté Français, dès 1773, le G.O.d.F. définit dans ses statuts de l’Ordre Royal la notion de régularité comme étant la simple reconnaissance par l’Obédience d’un frère ou d’une loge. Là encore, il n’est donc question que d’un acte administratif.

L’un des tournants dans la nécessité de définir pour la GLUA le terme de Regular , fut le Convent de 1877 qui vit le G.O.D.F modifier ses statuts concernant l’obligation de croire en Dieu et l’immortalité de l’âme. La rupture des relations malgré des tentatives françaises de renouer le dialogue permettra en 1877 d’obtenir par le biais du Grand Secrétaire britannique une définition nouvelle de la régularité : “La GLUA soutient et a toujours soutenu que la croyance en Dieu est la première marque de toute vraie et authentique franc-maçonnerie et qu’à défaut de cette croyance professée comme le principe essentiel de son existence, aucune association n’est en droit de réclamer l’héritage des traditions et des pratiques de l’ancienne et pure maçonnerie”.

De ce schisme, en 1878 la GLUA va autoriser une loge à “reconnaître” un frère visiteur venant de France. Ainsi donc pour la première fois, la notion de reconnaissance apparaissait associée au droit d’inter visite défini en 1724. La première reconnaissance internationale surviendra en 1913, avec la GLNIR.

La régularité venait alors de passer d’une simple question administrative à une obligation religieuse définissant par rebond la question administrative.

En 1929, la GLUA forte d’une volonté de clarté et de développement international, va donc modifier la notion de Regular, définissant alors un certain nombre de points notamment philosophiques et religieux pour prétendre à cette appellation.

Ainsi dans « les Basics principles for recognition » établis le 4 septembre 1929, puis dans « les Standards of recognition » de 1952 sont arrêtés que seuls la croyance en Dieu et la présence du Volume de la loi sacrée en loge, l’interdiction de débats politiques et religieux, l’indépendance des loges bleues / symboliques et des ateliers supérieurs et enfin, l’interdiction d’inter visites vers des loges non reconnues, c’est à dire non régulières cqfd !

Pour ce qui concerne l’installation du Temple défini par les Basics principles, il est adapté au Rite Émulation mais la GLUA n’en fait pas un dogme comprenant un impératif “d’adaptation” (sans altération des points essentiels suivant les Rites pratiqués). 

À la lumière de ces faits …

Il est une évidence que de très (trop) nombreuses Obédiences maçonniques françaises se définissant “régulières” ne remplissent pas les critères définis ci-dessus avec clarté. Si le GOdF précisait dans ses documents officiels «puissance maçonnique régulière », on peut constater que la question Déiste à elle seule le disqualifie ! De même concernant la GLdF qui n’impose pas de croyance en Dieu et pratique l’inter visite avec des obédiences régulières. Finalement, outre ces deux acteurs principaux nationaux, force est de constater que des dizaines et dizaines de plus modestes obédiences “surfent” (à dessin) sur la volonté de se définir “régulières” ce qui, au-delà de la publicité mensongère, tend à leur offrir une légitimité pas toujours si évidente.

De fait, galvaudée, la notion devient plus un aspect marketing à l’instar de la fameuse méthode champenoise dont je parlais en introduction.

En se rattachant à un modèle de maçonnerie “identique” au modèle anglo-saxon, l’obédience souhaite crédibiliser ou valoriser le sérieux de ses travaux et donc de sa légitimité, en un mot “se (re) valoriser”.

Et c’est là le problème, rien ne le nécessite car si le modèle maçonnique latin et tout particulièrement français ne représente dans le meilleur des cas que 10% des effectifs mondiaux, il n’est pourtant ni moins enviable ni moins respectable et bien assurément ni moins légitime.

Notre modèle maçonnique de travail “à la gloire du grand architecte de l’univers” (qui est Dieu?) est une approximation linguistique franco-française permettant de se dédouaner de l’obligation britannique de la question. Il relève néanmoins de l’histoire de la laïcisation de notre pays. Il est aussi la conséquence d’un pays dans lequel moins de 30% des interrogés indiquent croire en Dieu là où plus de 80% confirment l’inverse aux États-Unis d’Amérique.

Notre modèle maçonnique s’affranchit également de la question des inter visites posée dès 1724. En justifiant que les visites se font entre “réguliers” (chose qu’hôtes et invités savent pourtant au mieux pas tout à fait exact et au pire totalement faux !) ou au pire entre amis et gens de bonne compagnie que ces frères soient frères … ou même parfois soient soeurs !

Pour les obédiences souhaitant véritablement se tourner vers la régularité telle que reconnue par la GLUA, on peut constater que l’exclusivité territoriale n’est pas issue des Basic Principles de 1929 mais bien un us. Depuis les années 90 les États-Unis connaissent d’ailleurs une double reconnaissance par État, quant à l’Allemagne, elle est constituée en fédération de Grandes Loges. Il est donc possible d’envisager pour toute obédience française de rejoindre la Grande Loge Nationale Française dans cette appellation contrôlée si prisée !

En conclusion, si la régularité n’est aucunement vitale ou un gage de meilleure qualité de la pratique et de l’engagement/parcours du frère, sauf à ne pas reconnaître la structuration de la franc-maçonnerie moderne par Désagulier et la première GL d’Angleterre, et ainsi sa pleine légitimité à avoir mis en place les premiers rituels modernes tout comme les premières normes et encadrement de la pratique, on peut noter que le terme Regular ou Régularité dans notre langue est bel et bien défini clairement et exclusivement sous l’axe GLUA. Toute autre version édulcorée, “light” ou comme je le présentais “méthode d’inspiration…” n’est tout bonnement valable que dans l’esprit de ceux qui souhaitent s’en (auto)convaincre. Ainsi donc, il serait tout autant estimable pour les obédiences s’en inspirant mais n’ayant pas reçu le fameux label britannique, de se définir comme “traditionnelles” du fait de leurs rituels et de leurs pratiques.

En assumant sa spécificité, et donc son histoire, les Obédiences hexagonales gagneraient en crédibilité auprès des frères et plus encore des profanes qui au moment de choisir vers qui converger pour être initié, sont perdus par tant de fausses nuances. Plus encore, elles pourraient en s’assumant ouvrir une large refonte de ses pratiques inter-obédientielles nationales comme internationales, modifiant alors le précepte qu’un frère (et tout autant une soeur) soit plus ou moins acceptable et fréquentable suivant son origine maçonnique, et qui sait même s’adapter pour mieux se développer au monde dans lequel il vit. 

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Alexis AT

Français expatrié à Moscou *** Grand Inspecteur National en charge du développement Europe de l'Est @ GLTF

2 réflexions sur “Régularité : Champagne & méthode Champenoise !

  • Je souhaite vivement intégrer votre communauté spirituelle, la franc maçonnerie, alors comment procéder ? Qui pourrait m’aider à devenir membre ?
    Je veux bien compter sur vous pour la réalisation de mon vœux !
    Merci beaucoup !
    Je suis de la Côte d’Ivoire et je vis à Abidjan.

    Répondre
  • Alexandre Mistou

    Là se pose la question de légitimité entre le créateur et le copiste, la question en elle même réside dans le fait de connaître les intentions de chacun.
    Le plomb a été créé;
    pourquoi ne pas essayer de le transformer en or?
    Qui n’en profiterait pas?

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