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Tempus Masonica

Le temps est une chose toujours difficile à penser.  C’est une question universelle, omniprésente, mais qu’on évoque souvent sans vraiment la penser. 

Le temps passe vite, on manque de temps. On veut prendre le temps. Tout se passe comme si le temps était toujours une quantité, mais que l’on en ignorait la qualité.  Il est certes un temps qui se mesure objectivement. Le temps cosmologique, celui des unités de temps, des rotations des astres, celui de la date d’aujourd’hui, en l’an 2021 après J.C.  Mais nous le répétons, ce temps-là n’est qu’un repère, un moyen de s’orienter. Et même celui-ci, nous l’oublions sans cesse. Nous ne pensons que rarement à la rotation des astres ou aux phases de la lune. 

Reste un temps vide, statique, décomposé en petites unités qui nous servent à organiser notre quotidien. Nous ne percevons dans le temps aucun sens, nous nous en servons. Penser un temps maçonnique, commence donc par la question suivante: Le temps en franc-maçonnerie a-t-il un sens? Les frères sont-ils amenés à penser autrement, à vivre autrement celui-ci? 

En d’autres termes: la franc-maçonnerie invente-t-elle un temps qui n’existe pas pour le profane? 

Il semblerait dans un premier temps qu’on puisse dire, que les frères reprennent des dimensions du temps pensées au âges antiques. 

Chez les grecs, le temps est plus vaste que le simple temps linéaire et cosmologique, le Chronos. Se rajoutent deux dimensions, le Kairos et l’Aion. 

Commencons par le Kairos. Le Kairos est une vision qualitative du temps. C’est un temps que l’on trouve ou que l’on ne trouve pas. C’est “l’instant T”, le fait de faire la bonne action au bon moment, c’est l’occasion d’agir, le moment opportun. C’est un temps en quelque sorte musical. En musique, une note ne fonctionne que si elle est jouée au bon moment: ni trop tôt, ni trop tard. 

Ainsi, dans la loge, où tous collectivement produisent le travail commun, il y a un instant pour tout. Un instant pour parler, un instant pour se taire. La parole ne peut et ne doit être demandée qu’à certains moments, et c’est l’une des choses que doit apprendre le frère apprenti, alors qu’il est tenu au silence. 

Connaître le kairos, savoir saisir le moment, c’est savoir vivre de manière synchrone avec les frères, et sentir le moment où ma parole peut apporter quelque chose. A côté de cela, un autre temps que les frères semblent reprendre au ancien. Le temps Aïon. Aïon, c’est le temps comme éternité, comme cycle, comme éternelle répétition.

En Franc-Maçonnerie tout se répéte. Tout revient. Chaque geste, chaque rituel, chaque moment de la tenue est repris à chaque fois. On pourrait se demander le sens d’une telle répétition. 

On peut ici repenser d’abord aux deux sens du mot répétition.  Il y a le sens de reproduction. On reproduit le même. Dans ce sens, un perroquet répète, ou alors nous répétons ce que nous venons d’entendre si nous pensons avoir mal entendu. Dans ce type de répétition, il y a un original, puis de nombreuses reproduction, des reprises, mais celles-ci, aussi nombreuses soient-elles, n’auront jamais la force, l’intensité de l’original. Il y a un autre type de répétition, c’est la répétition créative. Ainsi un orchestre répète un morceau. Ce n’est pas pour reproduire la même chose à chaque fois, mais c’est pour au contraire, améliorer la performance, trouver la musique idéale. 

Ce sont à chaque fois les mêmes notes mais elles ne sont pas vécues de la même façon. Ainsi l’image du cercle, comme déplacement improductif. Le cercle me refait passer par les mêmes points. Mais si le cercle ne me déplace pas, c’est moi qui me transforme et m’améliore à chaque fois que je refais le cercle.  Ainsi les croyants de nombreuses religions répètent prières et rituels. Soit en reproduisant, comme des automates, soit en créant. C’est alors qu’ils créent non le texte ou les rituels, mais ce sont eux-mêmes qu’ils créent.  Ainsi l’importance de cette répétition-création dans la franc-maçonnerie. Ainsi le rituel, les pas, les gestes, les paroles, sont des actes qui me façonnent, et qui façonnent la communauté des frères. Le rythme maçonnique, lorsqu’il est vraiment vécu, fabrique les frères, et fabrique la loge. 

Lorsque je suis entier dans le rituel, que j’arrive à me détacher de mes pensées profanes, je suis dans une sorte d’éternité. Je ne suis pas dans ce qui a un début ou une fin, je suis dans ce qui revient, dans une musique, qui n’a ni lieu ni date. 

Quel-est ce temps où cette musique se joue? Il est symbolique, c’est de midi à minuit. Midi l’heure du jour, où la lumière du soleil est la plus favorable à mes travaux. Je suis ainsi en plein travail, attentif, patient. 

Minuit, l’heure où se dévoilent les mystères. Je ne suis ainsi pas un simple ouvrier, je suis dans un temple, où dans l’obscurité, je dois apprendre à voir ce qui est caché. Mon travail est attentif, mais il est aussi mystérieux. Je ne fais pas un travail qui m’est dicté, j’apprends au fur et à mesure, à la lumière du soleil et dans l’obscurité du soir, la nature du travail que je dois accomplir. Le temps de la tenue est de douze heures. Mais il y a aussi le temps de ma vie. Apprenti, j’ai trois ans, puis cinq, puis sept. Il est important ici de voir que cet âge n’est pas quantitatif, il n’est pas un nombre d’années. C’est un âge qualitatif. C’est à dire qu’il est lié à une certaine maturation, à un certain état dans lequel je me trouve, à une étape dans mon développement. Il y a un âge où l’enfant se tait, un âge où il questionne, et un âge, celui de la maturité, où il pense les choses, sans forcément tenter de les résoudre, de les comprendre, mais en y recherchant ce qui peut lui permettre de se réaliser, de s’améliorer, et d’améliorer la réalité qui l’entoure. 

Pourquoi alors cette place de la mort dans les rituels maçonniques? Le crâne dans le cabinet de réflexion, le sablier…

Il est question ici non pas de notre relation positive ou négative face à la mort qui arrive, mais du rappel de notre finitude. 

Nous sommes des êtres mortels et finis. 

Nous ne devons donc pas nourrir des rêves de gloire et de vie éternelle, mais avec humilité comprendre que nous ne sommes qu’un moment, et que comme tout, nous passons. Mais cela n’est pas renoncer à l’éternité. L’éternité est est accessible non pour l individu en lui-même, mais pour celui qui participe au progrès de l’humanité, à son mouvement positif. En se joignant à un effort de l’Homme pour se réalise, on participe, anonymement, au mouvement millénaire de l’humanité. 

De cela, la manière dont se compte le temps maçonnique à l’échelle des années. Ainsi nous sommes dans l’année de la Vraie Lumière 6020. 

Ce temps maçonnique est symbolique et non historique. Il ne s’agit pas ici de se référer à des événements chronologiques, fussent- ils la naissance du Christ. 

L’événement symbolique auquel se réfère la date de -4004 où commence le temps maçonnique, est celui de l’avénement de la Parole, de la vie, de la Lumière. C’est la naissance du premier homme, Adam, homme doté de raison et des principes de la géométrie. 

Tout se passe pour la maçonnerie comme si nous vivions dans la lignée et dans l’héritage du premier homme né dans la lumière et avec la lumière. 

Ainsi regardant le temps à l’échelle de l’histoire, le frère ne voit pas en premier les crises, les guerres et les troubles, mais le mouvement de l’homme dans et vers la lumière. Mouvement de réalisation de l’homme auquel il sait que sa vocation est de participer. Ainsi, le temps, à l’échelle de l’humanité et à l’échelle de l’existence du maçon et de son développement, prend sens.

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Jean-Baptiste Kléber

www.jeanbaptistekleber.com

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