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C’est quoi un rituel ?

« Au ROS, nos rituels sont très forts, parfois avec des expressions très lourdes de sens (un seul exemple, au 1er degré : « la coupe
d’amertume » … il y en a mille) alors au fond, un rituel, c’est quoi pour vous ?
Une évocation, un souhait, une mise en condition, un usage, un enseignement, une invocation, des symboles, une habitude, un
théâtre, une sacralisation, une poésie, un règlement, un cérémonial, une pratique, une appartenance… ».


Ce qui suit n’est certainement pas une réponse au sujet proposé. Il n’y a évidemment pas de réponse, ou plutôt, il y a autant de réponses que d’intervenants. La question posée n’appelle pas une réponse sous forme de définition, mais uniquement la participation et le ressenti de chacun devant le rituel.
En ce qui me concerne, je vais simplement livrer quelques idées sur le sujet.  J’ai surtout essayé de replacer notre rituel dans la masse des rituels, les nôtres comme les rituels profanes. Il y en a énormément, et ne regardons pas seulement du côté des églises, même si… 
Dans un premier temps, on peut essayer de parler en général des rituels, mais pas seulement des nôtres. Ensuite, dans une deuxième partie, je me pencherai sur nos rituels. Une précision, en préalable, celle de bien marquer la différence entre un Rite et les rituels qui ne sont que la face émergée de l’iceberg-rite. Exemple, le Rite Opératif de Salomon et sa vingtaine de rituels (hors tuileurs et autres cahiers). Pardon si, dans ce sujet, il m’arrive de confondre les deux expressions
comme cela est de pratique courante dans le monde profane.


I – Vous avez dit rituels ?
Dans la vie de tous les jours on observe un usage très répandu des termes de rite et de rituel. Le fait de se brosser les dents tous les matins est-il un rituel ? Si la simple répétition de comportement était suffisante pour créer un rituel, alors on dirait que les animaux ont des comportements rituéliques. 
Il faut bien voir que la répétitivité d’une action est une condition nécessaire au rituel mais certainement pas suffisante. Étymologiquement le mot rite viendrait de « ritus » qui signifie « ordre prescrit ». On distingue plusieurs types de rituels. D’abord, ceux qui font intervenir des similitudes, on fait tous la
même chose, parce que ça se fait comme ça. Citons les rituels courants, ils sont partout :
Exemple de rituel mineur, quotidien, en France, la poignée de main qui est un rituel extrêmement courant, banal, même s’il est remis en cause ces jours-ci. A noter qu’aux États-Unis, la poignée de main est plutôt exceptionnelle. On constate déjà la plasticité de ces rituels dont l’usage peut changer selon le
lieu d’application. Ces rituels que l’on peut appeler « sociaux » font tous état d’une appartenance, le rituel s’applique au sein d’un même groupe, qui va du groupe culturel, au club, jusqu’à la nation, en passant par l’école…etc…. Il s’agit d’habitudes, d’usages.


Ces rituels sociaux, on les retrouve partout. Analysons, pour exemple, le cas du football et de ses supporters. Les matchs et les clubs sont des objets d’identification, de symbolisation, de ritualisation. Dans le football, comme dans la tauromachie, le lien qui s’exprime, au-delà de l’appartenance au groupe des amateurs de football, est une dimension de guerre ritualisée. Voir à ce propos, le langage, le comportement observés dans le stade, comme les promesses de mort et de vengeance échangées entre les équipes. Le stade, comme l’arène, incarne une symbolique guerrière et sacrificielle que renforce le nombre d’interjections relevant du domaine de la sexualité virile. Pour les supporters les plus fervents, la pelouse a toutes les caractéristiques d’une terre sainte.
Les compétitions suivent un calendrier régulier et cyclique, la préparation du match se déroule selon le scénario répété : les joueurs ont coutume de faire une retraite, le rite de préparation pour les supporters, l’avant match est aussi très codé, marqué par l’attention et le recueillement. Au cours de la partie, les joueurs se livrent à des embrassades soigneusement codifiées pour exprimer la joie d’un but marqué.


La coupe enfin symbolise la victoire, elle prend souvent d’ailleurs la forme d’un calice ou d’un ciboire que les champions brandissent, embrassent et où ils boivent à tour de rôle après l’avoir remplie de vin ou de champagne selon les moyens. Une émotion collective ne peut se manifester que par la référence à des gestes et des symboles qui sont représentatifs pour la collectivité considérée. On peut évoquer le relatif désarroi produit par la façon dont fut célébré le bicentenaire de la révolution française. En effet, le public des citoyens ne se retrouvait pas dans le spectacle mis en scène par Jean-Paul Goude sur les Champs Élysées. Spectacle qui ne comportait aucune référence collective à laquelle les uns les autres pouvaient s’identifier. Cette
manifestation est restée au niveau du seul spectacle, superbe, mais seulement spectacle. Alors que le rituel, né il y a quelques semaines, des applaudissements, au balcon à 20 heures, reprend bien ce sentiment d’appartenance. Appartenance au groupe des confinés. Ce dernier exemple montre qu’un rituel peut « prendre » et même très vite simplement parce que l’effet groupe d’appartenance est évident. Parfois, il marque même une appartenance volontaire et choisie : le « check » marque l’appartenance au groupe des jeunes dans le coup.


Beaucoup de ces rituels même d’appartenance, ne se font que par mimétisme, exemple, le serrement de mains que j’évoquais supra. Au cours des années 1960, grand bouleversement social, économique, culturel qui semble faire disparaître nombre de rituels qui apparaissent dans la société comme des formes vides de sens, ainsi la désaffection brutale pour le mariage, la robe blanche, les pompes religieuses et alimentaires. Même chose pour la déritualisation scolaire avec la disparition des cérémonies de remise des prix ou la banalisation des costumes, le vêtement devient unisexe et multifonctionnel. Cette tendance semble
s’inverser en ce début de XXI° siècle. Dans cette première partie, nous avons parlé de « rituels » alors, qu’à mon sens il s’agit soit de conventions collectives, soit d’habitudes personnelles. Même si nous leur conservons le terme générique de rituel, ayons bien conscience que pour nous, il leur manque une dimension, la dimension spirituelle, celle qui caractérise les rituels de la deuxième partie, nos rituels.

II – Nos rituels.
Nos rituels, ceux que nous pratiquons dans des lieux profonds et secrets, de midi à minuit, sont-ils de même nature ? Oui, aussi, mais « pas que ».
Ils ont le caractère de répétition et surtout d’appartenance à un groupe. Jusque-là ça colle avec les rituels sociaux dont je parlais précédemment.
Les rituels sont des manières d’agir qui ne prennent naissance qu’au sein d’un groupe, d’une assemblée où ils sont destinés à susciter, à entretenir ou à faire renaître certains états mentaux de ces groupes. Les rituels sont donc destinés à renforcer un lien social ou un lien d’appartenance ou de dépendance à un
ordre moral supérieur.  Quand je parlais, plus haut, des lieux profonds et secrets, les lecteurs que vous êtes se sont aussitôt
reconnus au sein du groupe. Le supporter de football serait resté à l’écart.

C’est là qu’arrive, je crois la différence entre nos rituels de F.M. (et d’autres évidemment) et les rituels sociaux que nous avons cités.  Lorsque la pensée collective atteint un certain degré d’efficacité, quand la fusion, la coordination de la pensée est assez forte, elle donne éveil à la vie religieuse qui change les conditions de réflexion. Cette réflexion morale se fait par des réunions de congrégation, de groupes. Quand je parle de religion, je nous y inclus, car je prends le terme de religion au sens premier, celui de re-lier. Et que fait alors le groupe pour se manifester ? Il créé des rites, et il le manifeste par des rituels, auxquels ceux qui se
rejoignent dans cette pensée collective, adhèrent, en adhérant au groupe. Ces rituels, donc le nôtre, jouent un rôle créateur au niveau des actes. Le rituel permet de concentrer l’attention parce qu’il fournit un cadre, il stimule la mémoire et lie les participants.


Le rituel est un ensemble d’actes formalisés, expressifs, porteurs d’une dimension symbolique. Le rituel est caractérisé par une configuration spatio-temporelle spécifique par le recours à une série d’objets, par des systèmes de comportement et de langage spécifique, par des signes emblématiques dont le sens codé constitue l’un des biens communs dans le groupe. Ce sens codé, compris et appliqué par les membres, manifeste l’appartenance et l’adhésion à la spiritualité du groupe. Pour nous, dans les premiers degrés, il s’agit de la symbolique des bâtisseurs de cathédrales. Cette vision retient bien les critères de forme et insiste sur la dimension collective. Le rituel fait sens pour ceux qui le partagent. Les rituels sont un langage efficace parce qu’ils agissent sur la réalité du groupe. Ainsi on peut faire un rituel avec n’importe quoi mais encore faut-il que ces « n’importe quoi » s’appuient sur des symboles reconnus par la collectivité. C’est là que la spiritualité intervient. A propos des rituels religieux, la communion pourrait-elle être donnée à partir d’une baguette de pain, d’une biscotte ou dans des bols en plastique ? Tout dépend, me semble-t-il, du niveau d’imprégnation du symbolisme par le groupe considéré, de la dimension spirituelle que les membres ont donné à ce
symbolisme. Puisque nous en sommes aux rituels maçonniques, une place toute particulière doit être faite aux rites de passage. Ces rites se composent de séquences ordonnées ; elles ont un enchaînement prescrit d’actes. Dans un rituel de passage se distinguent toujours trois stades : séparation, action et agrégation. C’est exactement ce que nous pratiquons : séparation par le cabinet de réflexion, action par les voyages et agrégation par la grande lumière.  Il faut lire à ce propos René Guénon quand il parle de la transmission initiatique et du fait que cette transmission ne peut être donnée que par un membre ayant reçu le pouvoir de transmettre et seulement si les formes, le rite et le rituel, sont scrupuleusement observées dans le cadre d’une organisation traditionnelle au sein de laquelle la chaîne initiatique n’a jamais été rompue (R. Guénon : « Aperçus sur l’initiation », 1946). L’auteur poursuit en précisant qu’il faut encore que ce rite de passage soit précédé, pour l’impétrant, d’une intention, puis suivi par son travail intérieur. Là encore intervient, dans ces rites, la dimension spirituelle ; l’habitude personnelle, la convention sociale des rituels de la première partie ne suffisent plus. 

Il faut faire attention car à force d’insister sur les aspects formels, donc par définition, fixés, du rituel on peut en arriver à conclure que ce sont les rituels qui créent le sens pour les acteurs par effet de répétition. C’est pourquoi l’action rituelle ne doit pas être accomplie mécaniquement. Le vécu de l’acteur est fondamental. Il faut lire, entendre et pratiquer les rituels au-delà de leur façade au-delà de leurs vitrines, il faut les lire et les entendre au second degré, et percevoir ce qu’ils inspirent. Le miracle, c’est que ce second degré peut s’atteindre même inconsciemment… si le rituel est bon et s’il est bien
pratiqué.


Ma conclusion sera courte. Revenons à la question. « C’est quoi pour vous un rituel ? » Et bien c’est tout ce que les uns et les autres avons écrit sur ce forum. Nous sommes dans l’immatériel, un rituel c’est ce que nous vivons. Toutes les interventions sur le sujet l’ont toutes tellement bien dit, comme elles ont
été ressenties. A chacun sa perception du rituel, la seule chose qui compte, c’est la spiritualité que le rituel sous-tend et sa pratique qui doit être rigoureuse, sans pour autant être rigide…évidemment, car la bienveillance fait partie de l’esprit de notre Rite.
Alors, c’est quoi pour moi le rituel ? C’est une évocation, un souhait, une mise en condition, un usage, un enseignement, une invocation, des symboles, une habitude, un théâtre, une sacralisation, une poésie, un règlement, un cérémonial, une pratique, une appartenance…

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