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Les textes fondateurs, 3ème partie : Le manuscrit d’Édimbourg

Il y a quelques semaines, au détour d’une discussion anodine avec le très populaire et ô combien talentueux frère Hervé Lecoq, ce dernier me faisait remarquer avec justesse que peu d’initiés connaissaient la question des textes fondateurs de la franc-maçonnerie. Pour tout vous dire et avec franchise, il n’avait pas tort !

Je me suis donc convaincu qu’un travail concis de vulgarisation permettrait tout de même de nous rafraîchir la mémoire … voire de la lester d’une pierre supplémentaire. Dans cette mini-série qui débute donc, nous allons faire le tour des sept documents fondateurs : les anciens devoirs, les statuts Shaw, le manuscrit d’Édimbourg, le manuscrit Sloane pour ce qui est de la partie antérieure à la première grande loge, puis des constitutions d’Anderson, le manuscrit Graham et enfin le discours de Ramsay pour ce qui est des textes post 1717.

Épisode 3 : Le manuscrit d’Édimbourg

En 1696 est édité en Écosse le plus ancien rituel initiatique que nous ayons à ce jour d’archive. En tout état de cause il s’agit plus de la première partie d’un ensemble de documents nommés The early masonic catechisms que d’un document unique et indépendant à proprement parler. Le document fut découvert dans la ville dont il tire son nom en 1930 par Charles T. McInnes. et ne contiendrait que quatre pages dont seulement deux furent présentées au grand public.

La première partie contient des questions / réponses sur le tuilage maçonnique, la seconde partie aborde les questions liées à la réception et au serment mais également aux signes, paroles et attouchements. Cette partie est d’ailleurs nommée “La manière de donner le mot de maçon”.

Si le document définit des rituels réduits à leur plus simple expression (serment + communication des secrets), un de ses points de curiosité est qu’il ne définit exclusivement que deux grades, celui d’apprenti-entré (entered apprentice). Rappelons que les statuts Schaw définissent deux formes d’apprentis , ceux entrés qui une fois ceux-ci instruits deviennent apprentis-entrés. Enfin le second grade présenté par le manuscrit d’Édimbourg est celui de compagnon du métier, en anglais Fellow craft, qui caractérise également le terme de maître maçon. Là encore les statuts schaw font référence à Master craft ou Fellow craft.

En conclusion et alors qu’il est avéré que depuis au moins soixante ans avant sa rédaction il existait déja des signes, paroles et attouchements, que des rituels étaient bien entendu déja pratiqués, il ne faut probablement voir le manuscrit d’Édimbourg exclusivement comme un document de mise à jour plus que comme un texte fondateur et novateur.

En ce sens, le manuscrit effleure simplement le rituel et ne le détail absolument pas. Ce travail viendra d’ailleurs courrant 18ème siècle et tout particulièrement lors de la réunification entre les deux grandes loges du pays puis en 1816 avec la rédaction du Rituel Émulation. 

LE MANUSCRIT D’ÉDIMBOURG

Quelques questions que les maçons ont coutume de poser à ceux qui ont le mot, avant de les reconnaître.

Question 1 : Etes-vous maçon ?

Réponse : Oui.

Q. 2 : Comment le connaîtrai-je ?

R. : Vous le connaîtrez en temps et lieu convenables.

Remarques : la dernière réponse ne doit être faite qu’en présence de gens qui ne sont pas maçons. Mais en l’absence de telles gens vous devriez répondre : par signes, conventions et autres points de mon entrée.

Q. 3 : Quel est le premier point ?

R. : Dites-moi le premier point, je vous dirai le second. Le premier est de celer et cacher ; le second : «sous une peine qui ne saurait être moindre», qui consiste alors à vous c….r la g…e, car vous devez faire ce signe quand vous dites cela.

Q. 4 : Ou avez-vous été entré ?

R. : A l’honorable Loge.

Q. 5 : Qu’est-ce qui fait une Loge véritable et parfaite ?

R. : Sept maîtres, cinq apprentis entrés, à un jour de marche d’un bourg, là où on n’entend ni un chien aboyer, ni un coq chanter .

Q. 6 : Ne peut-on pas former à moins une Loge véritable et parfaite ?

R. : Oui, cinq maçons et trois apprentis entrés, & c.

Q. 7 : Et à moins [encore] ?

R. : Plus on est, plus on rit, moins on est, meilleure est la chère.

Q. 8 : Quel est le nom de votre Loge ?

R. : Kilwinning.

Q. 9 : Comment se tient votre Loge ?

R. : Est et Ouest, comme le temple de Jérusalem.

Q. 10 : Où se tint la première Loge ?

R. : Dans le porche du temple de Salomon.

Q. 11 : Y a-t-il des lumières dans votre Loge ?

R. : Oui, trois : le nord-est, le sud-ouest, et le passage de l’est. La première désigne le maître maçon, la seconde le surveillant, la troisième le compagnon poseur.

Q. 12 : Y a-t-il des bijoux dans votre Loge ?

R. : Oui, trois : [un] parpaing, un pavé d’équerre et un large ovale.

Q. 13 : Où trouverai-je la clé de votre Loge ?

R. : A trois pieds et demi de la porte de la Loge, sous un parpaing et une motte verte. Mais sous le repli de mon foie, là où gisent tous les secrets de mon cœur.

Q. 14 : Qu’est la clé de votre Loge ?

R. : Une langue bien pendue.

Q. 15 : Où se trouve la c/é ?

R. : Dans la boîte d’os.

Après que les maçons vous ont examinés par toutes ces questions ou par quelques-unes d’entre elles, et que vous y avez répondu avec exactitude et fait les signes, ils vous reconnaîtront, non pas cependant pour un maître maçon ou compagnon du métier, mais seulement pour un apprenti, c’est pourquoi ils vous diront : je vois que vous avez été dans la cuisine, mais je ne sais pas si vous avez été dans la salle.

R. : J’ai été dans la salle aussi bien que dans la cuisine.

Q. 1 : Etes-vous compagnon du métier ?

R. : Oui.

Q. 2 : Combien y a-t-il de points du compagnonnage ?

R. : Cinq, à savoir : pied à pied, genou à genou, cœur à cœur, main à main et oreille à oreille.

Faites alors le signe du compagnonnage, et serrez la main [de votre interrogateur], et vous serez reconnu pour un véritable maçon. Les mots sont dans le premier livre des Rois, ch. 7, v. 2l et dans le deuxième livre des Chroniques, ch. 3, dernier verset.

La manière de donner le mot du maçon.

Tout d’abord vous devez faire agenouiller la personne qui va recevoir le mot, et après force cérémonies destinées à l’effrayer, vous lui faites prendre la Bible et, plaçant sa main droite dessus, vous devez l’exhorter au secret, en le menaçant de ce que, s’il vient à violer son serment, le soleil dans le firmament et toute la compagnie témoigneront contre lui, ce qui sera cause de sa damnation, et qu’aussi bien les maçons ne manqueront pas de le tuer. Puis, après qu’il a promis le secret, ils lui font prêter serment comme suit :

Par Dieu lui-même ; et vous aurez à répondre à Dieu quand vous vous tiendrez nu devant lui au jour suprême, vous ne révélerez aucune partie de ce que vous allez entendre ou voir à présent, ni oralement, ni par écrit ; vous ne le mettrez jamais par écrit, ni ne le tracerez avec la pointe d’une épée, ni avec aucun autre instrument, sur la neige ou le sable, et vous n’en parlerez pas, si ce n’est avec un maçon entré ; ainsi que Dieu vous soit en aide.

Après qu’il a prêté le serment, on l’emmène hors de la compagnie, avec le plus jeune maçon, et quand il est suffisamment effrayé par mille postures et grimaces ridicules. il doit apprendre dudit maçon la manière de se tenir à l’ordre, ce qui est le signe, et les postures et paroles de .son entrée, qui sont comme suit :

Quand il rentre dans la compagnie, il doit d’abord faire un salut ridicule, puis le signe, et dire : Dieu bénisse l’honorable compagnie. Puis, retirant son chapeau d’une manière très extravagante qui ne doit être exécutée que dans ces circonstances (comme le reste des signes), il dit les paroles de son entrée, qui sont comme suit :

Me voici, moi le plus jeune et le dernier apprenti entré, qui viens de jurer par Dieu et saint Jean, par l’équerre, le compas et la jauge commune, d’être au service de mon maître à l’honorable loge, du lundi matin au samedi soir, et d’en garder les clés, sous une peine qui ne saurait être moindre que d’avoir la langue coupée sous le menton, et d’être enterré sous la limite des hautes marées, où nul ne saura [qu’est ma tombe].

Alors, il fait à nouveau le signe, en retirant la m..n sous le m….n devant la g…e, ce qui signifie qu’on l. l.. c…a au cas qu’il manque à sa parole.

Ensuite, tous les maçons présents se murmurent l’un à l’autre le mot, en commençant par le plus jeune, jusqu’à ce qu’il arrive au maître maçon, qui donne le mot à l’apprenti entré.

Maintenant, il faut remarquer que tous les signes et mots dont on a parlé jusqu’ici appartiennent à l’apprenti entré. Mais pour être un maître maçon ou compagnon du métier il y a plus à faire, et c’est ce qui suit.

Tout d’abord, tous les apprentis doivent être conduits hors de la compagnie, et il ne doit rester que des maîtres. Alors, on fait de nouveau agenouiller celui qui doit être reçu membre du compagnonnage, et il prête le serment qui lui est présenté de nouveau. Ensuite, il doit sortir de la compagnie avec le plus jeune maçon pour apprendre les postures et signes du compagnonnage, puis, en rentrant, il fait le signe des maîtres et dit les mêmes paroles d’entrée que l’apprenti, en omettant seulement la jauge commune. Alors, les maçons se murmurent l’un à l’autre le mot en commençant par le plus jeune comme précédemment, après quoi le nouveau maçon doit avancer et prendre la posture dans laquelle il doit recevoir le mot, et il murmure au plus ancien maçon : les dignes maîtres et l’honorable compagnie vous saluent bien, vous saluent bien, vous saluent bien.

Alors le maître lui donne le mot et lui serre la main à la manière des maçons, et c’est tout ce qu’il y a à faire pour faire de lui un parfait maçon.

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Alexis AT

Français expatrié à Moscou *** Grand Inspecteur National en charge du développement Europe de l'Est @ GLTF

2 réflexions sur “Les textes fondateurs, 3ème partie : Le manuscrit d’Édimbourg

  • Mes TCF,

    Je vous conseille la lecture des derniers ouvrages de David Taillades sur ces sujets : ça décoiffe !

    BBB

    Répondre

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