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Les aléas de la bibliothèque et des archives de la loge Thémis du GODF à Caen de 1940 à 2000

Création de la bibliothèque

C’est en 1908 que la loge Thémis du GODF à Caen (loge créée en 1772) constitue sa bibliothèque pour permettre aux Frères d’enrichir leurs connaissances et de servir d’outil de propagande à usage interne sur des sujets d’actualité ayant été abordé en loge ou susceptible de l’être : l’impôt sur le revenu, le mode de scrutin électoral, la laïcisation de la République aussi bien dans l’armée que dans l’enseignement, la morale, le positivisme, etc.

Un catalogue méthodique de la bibliothèque, qui contient alors 500 livres, est imprimé en 1912. Il renseigne sur ce que lisent les membres de la loge et les orientations politiques des Frères. A savoir majoritairement le radicalisme et le socialisme.

La bibliothèque ne cesse de s’enrichir, complétée par les ouvrages de la loge Isis du Droit Humain qui partage les mêmes locaux. Si bien qu’en 1940, elle contient 4500 volumes de livres et revues.

La spoliation des archives et de la bibliothèque

Comme de nombreuses loges en zone occupée, les autorités allemandes, bien renseignées, investissent les locaux le 18 juin 1940, soit le lendemain de l’entrée des troupes allemandes dans Caen. Cette fouille est effectuée par les hommes du futur ERR (Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg), appelé aussi «Office Rosenberg». L’un des organismes nazis chargés de la lutte antimaçonnique et du pillage des archives des loges.

Grande est la déception de ces hommes qui trouvent peu d’archives intéressantes. En effet, face à l’avancée des troupes allemandes, les archives, regroupées dans une malle, furent enterrées à la campagne, chez l’un des Frères de la loge. Malheureusement la propriété ayant été constamment occupée, lors de son exhumation quatre ans plus tard, les archives n’ont pas survécu. D’autres frères cachent chez eux souvenirs, diplômes, outils symboliques et autres documents.

Les hommes de l’ERR se rendent au domicile de trois frères, dont le Vénérable René Lemière, pour tenter, par intimidation et interrogatoire musclé, de récupérer des archives, sans plus de succès. Le 6 août 1940, les Allemands apposent les scellés à l’entrée de la loge, sept jours avant que ne soit promulguée la loi antimaçonnique du gouvernement de Vichy de dissolution des «Sociétés secrètes».

Ne pouvant plus entrer dans les locaux, Lemière écrit au préfet et à la mairie pour demander le transfert aux archives départementales de précieux documents datant du XVIIIe siècle demeurées sur place. Demande restée lettre-morte.

En décembre 1940, 11 énormes caisses et des paquets sont chargés dans trois camions de la préfecture de police de Paris. Les archives restant, ainsi que les 4 500 volumes de la bibliothèque de la loge, sont donc emportées pour une destination inconnue.

Le 3 juillet 1941, les scellés sont levés par les Allemands, pour être immédiatement apposés par l’administration des Domaines qui procèdent à un inventaire détaillé des biens désormais placés sous séquestre. Le mobilier précieux, statues et objets maçonniques sont déposés dans un local des Archives départementales pour y être conservés.

Le 6 février 1942 a lieu une vente publique des biens de la loge. Par chance, le directeur des Archives départementales a exclu de la liste des biens à vendre les statues, tableaux et objets maçonniques les plus précieux, afin de les sauvegarder.

Du 5 au 9 mai 1942, le collaborateur Jean Marquès-Rivière du « Centre d’action et de documentation » (CAD), organisme vichyste antimaçonnique, fait une tournée dans l’Ouest de la France pour récupérer des archives et objets ayant appartenu aux loges, en vue de préparer l’exposition antimaçonnique prévue à Rouen. De son rapport ressort un fort énervement concernant la vente publique récente qui le prive de précieux objets qu’il aurait aimé présenter. Il est de plus très irrité contre la mauvaise volonté du directeur des Archives départementales qui refuse de lui céder les rares archives disponibles. Ce qui vaudra à ce dernier des remontrances de sa hiérarchie.

Le Temple sert ensuite au service des garde-voies dont les occupants achèvent de démanteler le bâtiment et de récupérer les quelques meubles restant, avant sa destruction complète lors des bombardements alliés, le 6 juin 1944.

À la recherche des archives et de la bibliothèque

Concernant les biens spoliés, l’obédience envoie aux loges concernées une circulaire les informant de la démarche à suivre. Lemière, toujours Vénérable, prend donc contact avec la «Sous-commission des Livres de la Commission de Récupération artistique», rattachée au Ministère de l’Education Nationale, au printemps 1946. Fait important, il précise dans son courrier qu’un adhérent de la loge a retrouvé dans une librairie à Berlin, en avril 1946, un ouvrage avec le cachet de Thémis, «ce qui permet de supposer que d’autres de nos volumes sont également en ». Parallèlement le dossier de recherche est aussi suivi par l’«Office des Biens et Intérêts privés», rattaché au Ministère des Affaires étrangères.

Le 10 mai 1947, Lemière reçoit un : «Représentant Office des Biens et Intérêts privés sera à votre domicile vendredi 23 mai vers 10 heures pour restitution livres récupérés en Allemagne» Il se déplace lui-même à Paris pour récupérer 254 livres. Le 5 novembre 1948, c’est au tour de la «Sous-Commission des » d’adresser un courrier à Lemière l’informant que 56 volumes et revues appartenant à Thémis ont été retrouvés. Ouvrages récupérés le 20 novembre.

Ce sont donc 310 livres et revues que les loges Thémis et Isis récupèrent sur les 4 500 ouvrages de leur bibliothèque d’avant-guerre.

Épilogue

Un ultime rebondissement survient en décembre 2000, lorsque la Russie, après des années de négociations avec la France, restitue 120 mètre linéaires d’archives maçonniques, pillées pendant la guerre par les nazis et confisquées à la Libération par l’URSS.

Parmi ces milliers de cartons rendus, une dizaine d’entre eux renferment les archives de la loge Thémis. Et surtout, alors que la loge la pensait à tout jamais perdue, est restituée la patente de création de Thémis de juillet 1772, ainsi sauvée des aléas de l’histoire.

Thémis n’a jamais cessé de posséder une bibliothèque. Si bien, qu’il y a une dizaine d’année, lorsque la loge a déménagé dans des nouveaux locaux, propriété du Grand Orient de France et de la Grande Loge de France, partagés avec d’autres obédiences, cette bibliothèque s’est vue mutualisée avec celles des autres loges, afin de continuer son œuvre d’enrichissement des connaissances des Frères et des Sœurs.

Emmanuel Thiébot, historien, auteur de nombreux ouvrages sur l’histoire de la franc-maçonnerie, dont le dernier Le Scandale oublié de la Troisième République

(Dunod, collection Ekho, 2021) porte sur l’Affaire des fiches.

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Emmanuel Themis

Historien et spécialiste de l'histoire de la franc-maçonnerie. Auteur de nombreux livres et articles sur le sujet.

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