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L’épi de blé

L’Epi de blé, premier symbole  végétal figure sur le Tableau de Loge au  grade de Compagnon du Rite Ecossais Ancien et Accepté, mais pas sur celui du Rite français. Plutôt qu’à la  représentation graphique de l’Epi de blé, attachons nous ici à son origine, son lien  avec l’Homme, sa symbolique en Franc-Maçonnerie et son expression à travers la Loge.  

Le blé est à l’origine même de l’agriculture et donc de la “culture”. Il reste, après des  millénaires, la première plante cultivée au monde, fournissant les denrées alimentaires les  plus demandées sur la planète. En complément de ses valeurs nutritives, des vertus symboliques fortes de bonheur et de prospérité lui ont peu à peu été attribuées, s’exprimant  sous différentes formes comme la pose d’une gerbe sur le faîte d’une maison neuve une fois la charpente terminée, ou encore le jet de quelques épis de bléssur de jeunes mariés assurant  ainsi une belle et grande descendance. 

En Franc-Maçonnerie, la symbolique de l’Epi de blé repose sur le terme hébreu  « schibboleth », qui signifie aussi bien l’épi que le « courant de l’eau » ou « cours du fleuve », et s’interprète en « nombreux comme les épis de blé ». Il est d’ailleurs vraisemblable que  l’évocation du nombre est liée à la multiplicité des grains dans l’épi, et la continuité de  l’écoulement des eaux du fleuve. 

Le mot Schibboleth fait allusion à un épisode relaté par la bible au livre des Juges (Chp.12,  verset 5-6) présentant un conflit entre les Ephraïmites et les hommes de Galaad dirigés par  un chef du nom de Jephté. Les Ephraïmites, l’une des douze tribus d’Israël, voulaient conquérir  Galaad, terre sur laquelle ils estimaient avoir des droits. Ils franchirent le Jourdain mais  subirent un revers et durent rebrousser chemin. Ayant pris à leur tour le contrôle des rives du  Jourdain, les hommes de Galaad arrêtaient les fuyards en leur demandant de prononcer le  mot Schibboleth comme mot de passe pour pouvoir passer. Ceux qui ne pouvaient prononcer ce mot ainsi dirent : «Sibbolet», ce qui les démasquait automatiquement en tant qu’Ephraïmites et les condamnait. Le verdict était terrible, ils étaient saisis puis égorgés près  des gués du Jourdain. Il tomba en ce temps-là quarante-deux mille hommes d’Éphraïm. 

Sur le plan historique et biblique, Schibboleth est ainsi lié à une sentence de mort pour les  Éphraïmites engendrant dans le même temps la survie pour les Galaadites. Ce sont là les deux  faces d’une même médaille ou encore les ambigüités de la nature où la mort engendre la vie,  à l’exemple du grain de blé qui doit mourir en terre pour que germe l’épi de blé porteur de  nombreux grains.  

Depuis l’aube des temps, l’Homme a toujours exprimé un besoin primordial d’être authentifié,  en affichant une appartenance, indiquant un statut, déclinant une sonorité, ou contextant un  attouchement prévu par des codes. Des mots de passe bien particuliers comme Schibboleth ont donc été indiqués pour reconnaître un ami d’un ennemi, un membre d’un groupe d’un  imposteur ; le secret consistant d’une part à connaître le mot, mais aussi et surtout à savoir le  prononcer. En cela, le mot de passe est une clé vers la reconnaissance, représentée par le passage du Jourdain dans la Bible, où le but est d’atteindre l’autre rive sain et sauf. Cela sous entend que posséder le secret n’est pas suffisant : il faut le comprendre, l’assimiler,  l’intérioriser. 

En Franc-Maçonnerie, le Jourdain est ce cours d’eau, ce fleuve représentant le point de  passage d’un Apprenti en Compagnon, une porte où le tri s’effectue, là où nous sommes jugés  devant l’éternité. Pour atteindre l’autre rive, celle où l’on sera sauvé, il faudra s’en montrer  digne, prouver que l’on maîtrise les secrets de la Connaissance, apparus avec le concours de  la lettre G au sein de l’Etoile Flamboyante. 

Le fleuve nous dirigera alors progressivement vers la Maitrise. En marquant la limite entre des  mondes différents, il nous promet en effet un nouveau territoire, un autre niveau de  conscience, mais nous invite également à mieux nous connaître, à faire le tri en nous et autour de nous. Reconnaître et cultiver les valeurs universelles, rechercher l’action juste, trouver le  chemin de la sérénité, distinguer le vrai du faux, le bien du mal et démasquer nos mauvais  compagnons : l’ignorance, l’orgueil, l’ambition, les certitudes et les à priori n’ayant rien à faire  en Loge. 

Ce fleuve, bruyant, désordonné et cet Epi de blé, courbé mais vigoureux seraient ainsi la  jonction entre la naissance et la mort, le point de départ et d’arrivée qui va du profane au  sacré. 

Les grains de blé retournés au sol sont en effet une promesse d’autres épis. L’initié est cette  graine. Il a germé en terre, dans le cabinet de réflexion. A la lumière, il s’élève au premier grade. Le temps de la moisson arrivant, le passage au second grade se retrouve lié à une notion  de détermination personnelle vers son propre sacrifice, ceci afin de poursuivre le cycle et en  faire un symbole de résurrection.  

La génération d’épi de blé étant rarement spontanée sans intervention humaine, le Maçon  est en outre celui qui, par ses efforts et son travail, va permettre la symbolique de la  fécondation du grain de blé avec la terre et l’épanouissement de celui-ci à l’abri des parasites  et autres mauvaises herbes. Sa culture s’effectuant de manière cyclique nous rappelant d’ailleurs le concept selon lequel le travail du maçon ne finit jamais. 

Le symbole de l’Epi de blé est donc une glorification du Travail sans lequel il n’y a point de  salaire, mais également une célébration de la Solidarité et de la Fraternité qui règnent au sein  d’une Loge, représentée par des grains collés les uns aux autres dans un même but.  

Par sa mort puis sa renaissance, le grain de blé, comme le Frère Maçon engendre une  multitude de grains ou de Frères Maçons, symbolisant ainsi la croissance, la fertilité et  l’abondance sur la Terre comme en Loge, approchant de fait la résurrection continuelle ou  l’immortalité. L’Epi de blé est donc une vraie richesse qu’il faut savoir apprivoiser pour autant, et utiliser à bon escient, notamment avec les bonnes clés, sans qui ce trésor ne serait  qu’illusoire et trompeur.

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Jean-Baptiste Kléber

www.jeanbaptistekleber.com

Une réflexion sur “L’épi de blé

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