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La Franc-Maçonnerie dite Prince Hall

Prince Hall

Lorsque l’on aborde la question de la Franc-maçonnerie américaine, le terme “Prince Hall” vient naturellement en tête bien que pour un grand nombre de frères et sœurs d’Europe, il n’est ni clair, ni évident de définir avec précision ce que définit ce terme. Il s’agit tout simplement d’un courant maçonnique afro-américain militant apparu à la suite de la constitution de l’African Lodge n* 459 en 1775 à Boston par le frère Prince Hall, et qui s’est structuré par la suite en obédience socialement impliquée dans l’émancipation des noirs américains et leur activisme dans la vie politique et civique des États-Unis d’Amérique.

Nous ne savons finalement que de manière parcellaire qu’elle fut la vie de l’illustre initié, s’il naquit en Afrique ou dans les Caraïbes et sa date de naissance est tout autant controversée, Simplement peut-on penser qu’elle se situe entre 1735 et 1748. Son nom “Hall” lui vient de William Hall, un quaker de Boston qui s’interdisant l’esclavage, avait affranchi Prince et lui avait par la même occasion offert son nom.

Quant à son initiation, là encore, force est de constater que nous n’avons pas non plus une clarté absolue sur l’événement. Il est accepté par la majorité des historiens traitant de la question que Prince Hall et 14 autres profanes afro-américains furent initiés le même jour à la Franc-maçonnerie au sein d’ une loge militaire bostonienne patentée par la Grande Loge d’Irlande. Probablement la même année, fut ensuite ouverte la première loge constituée exclusivement de frères afro-américains nommée ci-dessus. La lecture chronologique de ce récit indique tout de même que Prince Hall et les autres frères l’entourant dans ce beau projet n’avaient finalement que peu de connaissances maçonniques et sans nul doute pas le grade requis pour une bonne régularité de la toute nouvelle loge.

En outre, cette curiosité qui indique probablement que l’initiation des frères affranchis avait été administrativement contestée au sein de la GL d’Irlande, la loge African Lodge fut créée avec une patente d’une autre obédience et en l’occurrence de la première Grande Loge d’Angleterre d’où le numéro distinctif 459. Cette patente si elle est datée du 29 septembre 1784 qui n’est parvenue à sa loge qu’en 1787 soit douze années après la fondation de l’atelier. La maçonnerie Prince Hall restera finalement peu engagée avec sa tutrice anglaise puisque constituée en obédience comme nous le verrons plus tard, elle proclamera son indépendance en 1827.

Pour revenir à la première GL d’Angleterre, il n’est pas inconcevable d’y voir une décision stratégique et politique faisant fi de petites irrégularités … le sens de l’histoire s’écrit parfois en faisant preuve de largesses. 

De l’African Lodge N*459 à l’African Grande Lodge of North America

Pour revenir à la vie de notre première loge afro-américaine, nous savons qu’elle fut dès ses premières années engagée politiquement puisque ses fondateurs soutenaient les Anglais dans leur conflit avec les Patriots, qui faut-il le rappeler, n’avaient contrairement aux Anglais, refusés d’ouvrir leurs Temples aux gens de couleurs et donc d’apporter leur patente à la loge. Dans ce contexte géopolitique de défiance entre l’ancien et le nouveau monde, les Britanniques qui épousaient déjà (contrairement aux frères d’Amérique) la cause anti abolitionniste, avaient coutume d’affranchir et d’initier les esclaves qui se battaient à leurs côtés.

De 1773 à 1788, les frères de la loge vont multiplier les pétitions et requêtes auprès de l’assemblée législative du Massachusetts, au sénat ainsi qu’à la chambre des représentants de l’État. Bien rapidement et sous l’impulsion de l’un de ces fondateurs, l’évêque Richard Allen, la maçonnerie proposée par les frères va connaître à l’instar du volant politique, une pensée religieuse forte. Par ce prisme, son accroissement va dépasser les limites de la ville et une seconde loge “Prince Hall” va voir le jour à Philadelphie grâce à une patente délivrée par Boston.

Et c’est fort de cette croissance, qu’en 1791 les francs-maçons noirs américains se rencontrèrent à Boston pour fonder la African Grand Lodge of North America dont le F. Prince Hall fut élu à l’unanimité comme premier Grand Maître. Fonction qu’il occupera jusqu’en 1807. Il est à noter que par la suite, au décès de ce dernier et en son honneur, l’obédience sera renommée Prince Hall Grand Lodge.

La Maçonnerie pratiquée prend conscience de la nécessité d’éduquer les enfants ainsi que les adultes affranchis. L’éducation prend ainsi une place aussi importante que le militantisme politique et la transmission religieuse pour les Prince Hall. Dans deux discours du fondateur, en 1792 puis 1797, Prince Hall définit le devoir du maçon de s’éduquer et d’éduquer. Hall indique que si la population noire américaine n’a pas droit à cette éducation, c’est alors le devoir de la Franc-maçonnerie que de rétablir cette injustice sociale. Mais il va plus loin dans sa réflexion, Hall milite pour la création d’écoles pour les Noirs, en soit une approche communautariste dans une société déjà grandement communautariste.

Les loges dites Prince Hall vont se multiplier dans les États du sud et notamment durant la guerre de Sécession sans toutefois s’impliquer en tant que telles. Si les loges, tout comme durant la Révolution française d’ailleurs ne furent pas parties prenantes du conflit, force est de constater que de très nombreux frères se sont battus aux côtés des troupes de l’Union et ont joué un rôle majeur. 

Une influence sociétale et civique

Nous en parlions, la maçonnerie de Prince Hall est caractérisée par un souhait d’éduquer et de sociabiliser la communauté noire américaine. Par l’enseignement mais aussi par la revalorisation du travail comme facteur d’épanouissement social. Il faut préciser que pour les jeunes affranchis, le travail était rejeté car rappelant la période d’esclavage ce qui, de fait entrainait une plus grande pauvreté encore et une mise au banc social.

La question, également centrale de l’éducation est traitée par le F. Booker T. Washington, esclave de sa naissance à ses 9 ans dans le livre autobiographique Up from slavery (se relever de l’esclavage) qu’il écrivit. Et ce combat égalitariste ne va pas rester vain, en 1898, le Frère et Président des États-Unis d’Amérique Mc Kinley, va reconnaître et encourager officiellement le travail mené par les frères de Prince Hall et tout particulièrement par le F. Booker T. Washington.

Curieusement, la plus grande critique du travail de Washington vient d’un autre membre de Prince Hall, le F. William Edward Burghardt Du Bois qui souhaitait engager l’obédience plus sur une action politique. Rien de plus normal finalement puisque du Bois était le fondateur de la National Association for the Advancement of Colored People. Du Bois critiquait notamment avec force l’aspect consensuel que Washington consentait auprès des hommes d’affaires (blancs) du Sud.

Les années post seconde guerre mondiale,

Avec sa croissance, forte de ses trois axes majeurs (éducation, droits civiques, spirituel), la Grande Loge de Prince Hall va aborder les années qui suivirent la seconde guerre mondiale en développant un système d’entraide communautaire assuré par les loges, les troncs-de la veuve ou avec l’assistance de structures sociales parallèles aux loges. Cette “aide mutuelle” est chargée d’apporter un soutien aux familles en cas de perte de travail, de maladie ou bien entendu de décès. Cette mutualisation de l’entraide ira même jusqu’à voir se fonder des banques dédiées à la réalisation de prêts et facilités bancaires aux frères.

Mais la GLPH va surtout réussir à fédérer autour de ses “grands combats” civiques et va attirer en son sein des personnalités au rayonnement parfois planétaires. Activistes, musiciens, sportifs, la liste des frères célèbres est impressionnante et on pourrait, pour exemple, ne citer que les principaux que sont Martin Luther King sr (le père) , Duke Ellington, Nate King Cole, Count basie, Louis Armstrong, “Sugar” Ray Robinson , Scotty Pippen ou encore Shaquille O’Neil pour les plus récents !

Parallèlement, la GLPH va entretenir des relations ambiguës avec les grandes organisations communautaristes de cette période telle que la NOI (Nation of Islam) qui comptait parmi ses principaux membres des francs-maçons Black Shriners ou Rosicruciens de l’Amorc comme Ali Drew, qui par la suite développera The Moorish Science Temple ou (et cette question est longuement débattue !) Elijah Muhammad, fondateur de la NOI. 

Relations extérieures

Le terme “relations extérieures” désigne le rapport ou les relations qu’a une obédience avec les autres organisations maçonniques, qu’elles soient sur le même territoire national ou non. Ainsi tout ce qui n’est pas “nous” est l’extérieur ! Et sur ce sujet, force est de constater que la Grande Loge de Prince Hall là encore se démarque ou devrais-je dire marche à contre-courant !

Du fait de son histoire et tout particulièrement de la nature contestée de sa création par les autres Grandes Loges américaines, elle n’a naturellement pas noué de relations inter-obédientielles intra USA. Il faut rappeler que jusqu’en 1960 aucune Grande Loge des États-Unis ne la reconnaissait et qu’à ce jour neuf états sudistes n’ont pas infléchi leur position.

La nature même de son engagement civique et politique l’amène également à être en marge des principes maçonniques de la très large majorité des obédiences mondiales et en tout état de cause de l’intégralité des obédiences dites “régulières” que par mimétisme Prince Hall avait rejointes. Son aspect communautarisme l’éloigne tout autant des obédiences dites laïques à l’instar du Grand Orient de France comme le rappelait son ancien Grand Maître Philippe Foussier dans un entretien accordé à RFI en 2018. 

Un article très intéressant sur le sujet indiquait que ” les francs-maçons de Prince Hall se réunissent entre eux, n’initient des Blancs que très rarement, bien que rien ne l’interdise, et rendent assez peu visite aux loges blanches”. La question de reconnaissance n’est d’ailleurs plus posée au sein de l’obédience qui tend d’ailleurs à effacer ses origines britanniques au profit d’origines culturelles africaines. 

Ainsi donc, si cette puissance maçonnique a su parfaitement s’intégrer dans sa communauté et dans son environnement profane (elle compterait plusieurs centaines de milliers de membres) , force est de constater qu’elle n’a pas eu la même reconnaissance maçonnique.

En conclusion, il n’est donc pas incohérent que de se poser la question de la nature même de la franc-maçonnerie Prince Hall vis à vis des grands socles maçonniques qui font notre ordre et qui sont : la fraternité universelle, la notion de réunir ce qui est épars, des valeurs d’équité, des valeurs enseignées par le pavé mosaïque et bien entendu des questions dogmatiques et politiques en loge. 

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Alexis AT

Français expatrié à Moscou *** Grand Inspecteur National en charge du développement Europe de l'Est @ GLTF

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